Je me suis réveillée de faim : j’engloutis littéralement mon petit-déj. Je ne suis pas stressée, je suis ailleurs. Cela fait quatre jours que je suis ici, à Vichy et je ne réalise toujours pas. Arrivée au parc à vélo, je m’aperçois que j’ai oublié mes barres énergétiques : « oh la boulette ». J’appelle Maxou, il court me les chercher. De mon côté, j’attends.
30 min plus tard Maxou me donne mes barres, je les mets sur mon vélo puis me prépare. Combi enfilée, derniers câlins/bisous, j’entre dans le sas de natation 60-63’ où je retrouve Simon.
Je pense que l’on a tous, consciemment ou non, ce moment où l’on s’engage dans la course. Pour certains, ce sont les dernières embrassades avec leurs proches. Pour d’autres, le moment où ils entrent dans leurs sas de natation ou encore l’instant où le « bip-bip-biiiip » retentit.
Pour moi, c’est le moment où je mets mes lunettes de natation. À ce moment-là, le vide se fait autour de moi, j’entre dans ma bulle et il n’y a plus de retour en arrière possible.
La natation : 3,8km
Bip-bip-biiiip. Je saute, seule. En réalité, sous l’eau, j’ai l’impression d’avoir atterri dans une arène. Et dans cette arène, je n’ai ni concurrentes, ni adversaires à affronter. Non, il n’y a que moi. Moi face à mes faiblesses, mes doutes et mes démons. Je remonte à la surface. Que la journée commence.
3,8km de natation. Je pose ma nage, je souffle bien, je suis bien. Je ne suis pas gênée par les autres participants comme j’ai pu l’être sur mes autres courses, je nage, tempo 55. Et je ne réalise toujours pas que je suis ici, dans l’Allier, que j’ai déjà pris le départ de mon deuxième Ironman, je nage. Sur le retour, le soleil se lève, nous offrant de magnifiques nuances orangées. C’est beau et je réalise, enfin. J’y suis !
Je me suis préparée pendant neuf mois pour cette course et j’y suis. Enfin, je commence à entendre le speaker à nouveau, je lève la tête, je vois l’arche d’arrivée, je bats des jambes et sors de l’eau. Un petit coup d’œil à la montre : 1h14. « Je me suis endormie ou quoi ? »
Je vois maman, maxou et yoann, j’esquisse mon premier sourire de la journée. Je veille à ne rien oublier à la transition : « crème solaire : ok », « casque/lunettes : ok ». « Bon bah je crois que c’est bon, je peux y aller »
Le vélo : 180km et 2000m de D+
Ligne officielle franchie, j’enfourche mon vélo pour 180km dans les montagnes bourbonnaises. Dès les premiers mètres : « ça ne va pas le faire ». J’ai la sensation d’avoir deux briques à la place des cuisses et je suis à 23km/h sur le plat. HELP. « C’est quoi cette blague ? C’est pas drôle, j’ai encore 178km à faire là »
Malgré tout, je reste concentrée sur ma fréquence cardiaque. Ce petit chiffre là, c’est le seul et l’unique auquel je dois me fier aujourd’hui. C’est le seul qui compte et je ne le sais que trop bien.
Arrive la première difficulté du parcours très rapidement (Km 10), la côte de Busset (4/5km à 7 % de moyenne). Il y a un fort pourcentage au début, ça pique un peu les cuisses, mais ça passe. Dans la descente, même si on est majoritairement en reprise, j’en profite pour tourner les jambes au maximum.
Au Km20, arrive la deuxième grosse difficulté du parcours : la côte de Cusset, 5km avec de beaux pourcentages. Dans les premiers mètres, l’ambiance est digne du Tour de France 🇫🇷, les supporters de part et d’autre de la route sont sur-excités ! Puis, j’aperçois mes parents avec des pancartes et Cookie. Ma réaction : « Oh ! Ils sont là » Première (et unique ?) belle surprise sur ce parcours vélo.
Un peu plus loin, je vois Maxou et yoyo. Je leur dis que c’est dur… Maxou me dit « allez continues » – « bah oui je ne vais pas m’arrêter là » ça fait bien rire mes compagnons de galère. Bon, « allez, concentre-toi Laura, il te reste encore 4,5km de monté ». Je croise PA, on échange quelques minutes tout en montant tranquille. Ça me fait du bien car je ne vois pas la côte passer.
Au Km35, je me dis « ok, t’as déjà fais les deux plus grosses difficultés du parcours ». Que NINI. Moi qui pensais que j’allais en avoir pour 15km de faux plats comme aux sables… la grosse blague. C’est TRÈS vallonné, un peu comme des montagnes russes. C’est usant. Physiquement et psychologiquement.
À Mayet en Montagne, je profite du ravito pour prendre deux bouteilles d’eau afin de m’arroser (tête/nuque/jambes). La journée s’annonce très chaude et je sais que si je ne veux pas souffrir de la chaleur sur le marathon ça commence dès maintenant. Sur l’ensemble du parcours vélo, je me suis versée plus 3L d’eau sur le corps 💦
La descente, enfin ! Je ne l’attendais plus. La première partie est (vraiment) descendante, ça fait du bien aux jambes, je mouline dans le vide pour faire circuler le sang. Puis, très rapidement, je me retrouve à devoir pédaler (pour de vrai) ahah. Donc en gros, je viens de faire 20km de montée toujours en reprise pour 3 bornes de descente ? Ok. C’est partie pour 17 bornes de faux plats descendants. C’est la première fois de ma vie, que j’attends la fin d’une « descente » avec impatience, c’est dire.
2 ème tour : je sais donc à quoi m’en tenir. Je reste patiente, je mange, je bois, je m’arrose, je respire. Je réussi à me faire pipi dessus en roulant, petite fierté. Au point où j’en suis, je me se satisfait de peu lol. Dans la descente, la tête de course revient sur nous. Ils ont beau être premiers, ils font hyper gaffe aux autres participants, notamment dans les virages et je trouve cela suffisamment honorable pour être mentionné.
3 ème tour : « là, c’est chaud » l’ambiance digne du tour de France s’est littéralement évaporée. Je récupère mon ravito perso, met de la crème solaire et je repars. Dans ma tête, je sais qu’après cette boucle, c’est terminé. Sauf que voilà, cette boucle là, c’est la boucle de trop. Physiquement, je suis dans un jour sans. Je le sais depuis le début du vélo et je suis ok avec ça. Je n’ai rien à prouver, aucun compte à rendre. Que je finisse en 13h ou 16h, franchement, peu importe. Je sais POURQUOI je suis là et c’est tout ce qui compte. Alors, je me contente de faire de mon mieux avec les jambes du jour.
Pour la première fois, je commence à faiblir psychologiquement. Dans les côtes, je double des gars dont l’affûtage pourrait laisser penser qu’ils envoient du 38 de moyenne. Je double des gars qui sont en train de monter À PIED. Puis, je passe devant des participants sur le bord de la route, à l’ombre, vidés. Alors, je me dis que je pourrais être fière de moi, car finalement, avec mon micro gabarit et mon tout petit cœur je suis encore là et franchement, je suis encore bien. Je gère bien mon effort. Mais non. Je ne sais pas si c’est dû à mon hypersensibilité ou à mon empathie… Mais à ce moment-là, je ne suis pas fière de moi, je suis juste épuisée psychologiquement…
Fin de la dernière boucle. Je dis au revoir aux courageux supporters encore présents dans la côte de Cusset et je tourne direction Vichy et la T2. Plus que 10km. SAUF QUE le parcours nous réserve encore des surprises comme deux côtes à 5km de l’arrivé. Deux côtes où je re-croise des personnes sur le bord de la route, assises par terre, à côté de leurs vélo. A ce moment-là, je ne sais pas si c’est les nerfs qui lâchent mais je préfère en rigoler.
J’arrive ENFIN à T2. Je croise maman, maxou et yoyo. Ne vous fiez pas au sourire. Je ressens le besoin de me plaindre : «put*** mais quel bourbier ». A ce stade, la vulgarité, c’est cadeau.
La course à pied : 42,2km
La T2 me parait interminable. J’ai l’impression de la vivre au ralenti. Ce qui me prend habituellement quelques secondes à faire me prend plusieurs minutes. Yoyo me dit que je suis en train de faire une belle course… je ris jaune. Je suis tellement à l’ouest que je me sens obligée de faire une check-list avant de partir sur le marathon : « gel Apirun : ok, visière : ok, flasque : ok, éponge : ok, tête/jambes : pas ok ».
Je ne suis pas rapide, je le sais. Cependant, j’ai beaucoup progressé à l’entraînement cette année. Ce qui peut me faire espérer un marathon bien plus beau qu’à Nice. Sauf que mon corps en a décidé autrement. Des les premièrs mètres, je suis rodé à 8:30 au kilo, 15puls en dessous de la cible. Oui oui, à cette allure là, je suis bien en train de courir (I see you). J’ai beau essayer d’aller plus vite, mon corps en est tout bonnement incapable. C’est le jeu et il faut faire avec.
Au km6, je passe juste à côté de l’appartement. À ce moment-là, tout un tas de pensées viennent se faufiler dans mon esprit. Je repense à la petite fille que j’étais, à ce que j’ai vécu et à la raison de ma participation. Je n’en ai jamais parlé ici, mais croyez-moi, je mesure plus que quiconque la simple chance de pouvoir mettre un pied devant l’autre, d’être en mouvement, jour après jour. Ce qui était jusque là inconscient se transforme en une évidence déconcertante. J’ai 24 ans, je suis en bonne santé et je suis en train de courir mon deuxième Ironman : tout va bien. Je ne ressens plus le besoin de repousser mon corps dans ses retranchements = je ne ressens plus le besoin de m’assurer de son bon fonctionnement.
Au km 7 de l’Ironman Vichy, je l’ai enfin compris : je vais bien, tout va bien.
Comment ne pas sourire d’être encouragé de la sorte ? Je me le demande sincèrement : comment ne pas sourire face à tant d’humanité et de bienveillance ?
Sur la dernière boucle, je prend le temps de remercier l’ensemble des bénévoles aux ravitos. Et c’est le sourire jusqu’aux oreilles que je franchis la finishline de l’Ironman Vichy 2019. Épuisée, mais libérée.